POLITIQUE

L'on accuse fréquemment cette jeune génération de ne pas être "engagée", mais en réalité elle exprime une sorte de nouvelle énergie politique qui émane d'un jugement esthétique (qui est aussi un jugement politique) sur la "laideur" du monde actuel qu'elle veut changer sans délai, à partir des objets domestiques, des ustensiles quotidiens; elle saisit l'inutilité qui nous entoure et recherche de nouvelles solutions dans le domaine des micro-fonctions domestiques.

Les jeunes témoignent donc d'une nouvelle urgence de réformes qui dépasse l'ancien schéma selon lequel on ne peut changer le monde que par des macro-entreprises politiques et des super-projets globaux; bien au contraire, nos étudiants croient (et nous le croyons également) qu'il existe actuellement une nouvelle possibilité d'améliorer le monde à partir de ce qui est infiniment petit, apparemment superflu, et à partir de l'esthétique du quotidien.

Ce sont les objets domestiques qui véhiculent les thèmes anthropologiques et politiques de grande importance.

Le poète russe Josif Brodskij (prix Nobel de Littérature en 1997) nous a appris que même les grands empires peuvent imploser à cause du désaveu de l'esthétique (c'est le cas des anciens pays socialistes), parce que le refus de l'esthétique mène inexorablement au refus politique: comme dans la psychologie infantile, le laid devient synonyme de méchant. Car l'éthique et l'esthétique sont intimement associées l'une à l'autre.

C'est la raison pour laquelle le thème de la beauté pose aujourd'hui l'un des grands "problèmes politiques" de l'avenir : ou bien ce monde sera plus beau (et plus hospitalier) ou alors il sera condamné à un cataclysme politique.

Ce dernier trace en effet de possibles modèles d'une "frêle urbanisation" de territoires aux frontières floues et aux fonctions imprécises, des "modèles fragiles", caractéristiques de notre sociétépolitique, économie et culture ont perdu la force de leurs fondements et n'arrivent plus à coexister dans un système harmonieux ou à conférer une forme stable et robuste à nos villes.

En d'autres termes, nous voyons se reproduire aujourd'hui le syndrome déclenché, il y a six siècles, par l'abandon de l'unité au Moyen âge, quand la foi, la science et la politique ont clamé leur autonomie et s'affichèrent comme des réalités porteuses de "vérités partielles mais totalisantes", en attribuant à la "beauté classique" la tâche de réunifier, ne fût-ce que sur le plan formel, un monde plein de contradictions irrémédiables et de logiques antagonistes.

L’alternative commence au moment où elle se réalise entre nous, entre chacun de nous, pas dans les catégories politiques, etc.

Donc c'est plus le rôle de la micro-production, des micro-projets de design que celui des grandes structures rigides et monolithiques du siècle du passé. Soit dans les projets, soit dans la politique.

Il n’existe pas une ville réalisée selon cette philosophie, mais elle a quand même eu un rôle très important dans la tête des politiciens, des architectes, des citoyens même.

Prendre des responsabilités, pas politiques mais, par exemple, littéraires, artistiques.

Il y a des politiciens, des philosophes qui cherchent à présenter cette liberté comme une sorte de prison générale.

Et je dois dire que jamais n'a existé une société où ce type de problème a trouvé une solution, parce que, par exemple, les pays socialistes dans l’interprétation qu’en a donné Joseph Brodsky, poète qui a gagné le prix Nobel, ont eu ce type de débâcles à cause d’un choc esthétique, d’un désastre esthétique, c’est-à-dire qu’ils ont réalisé un monde urbain, des relations humaines et une gestion de la qualité de la vie tellement horrible que cela a produit un refus politique, donc un choc.

Parce que le problème esthétique, c’est le vrai grand problème politique du futur.

Parce que dans l’économie et l’organisation du travail post-fordiste, les vieilles catégories politiques ne marchent plus. Les ouvriers n’existent plus. Donc ce sont des catégories vieilles de deux siècles passés.

Donc l’activité politique aujourd’hui est très difficile.

Je crois qu’une nouvelle politique peut commencer à partir d’une forme créative, comme l’art, comme la culture. C’est-à-dire, comme sont nées les grandes catégories politiques, d’une manière créative, d’invention, de possibilités qui n’existaient pas, la proposition des liaisons entre l’économie, les rapports humains.

BRANZI, Andrea. Progress . In : QUEHEILLARD Jeanne, SALMON Laurence, BRANZI Andrea, In progress: le design face au progrès, exposition, Grand Hornu, Monographik, Blou, 2010, p. 33-39.
BRANZI Andrea. Conférence, Exposition In Progress, 8 mai 2010 - 12 septembre 2010, Grand-Hornu Images, Belgique, 24 juin 2010
BURKHARDT, François, MOROZZI, Cristina. Andrea Branzi, 4ème de couverture. In : Andrea Branzi No stop city, Archizoom associati, éditions HYX, Paris, décembre 1997
BRANZI Andrea. L’enjeu capital(es), Colloque international d’architecture, 1 - 2 octobre 2009, Centre Pompidou.