VILLE

Il nous faut donc être très prudents à l'heure de discerner entre ce qui est superflu et ce qui ne l'est pas, car l'histoire nous enseigne que les grandes civilisations se sont développées en investissant leurs énergies les meilleures notamment dans ces activités qui ne sont manifestement pas nécessaires : l'art, la musique, la poésie et la beauté de l'habitat humain; la qualité des objets détermine aujourd'hui la qualité de la ville, elle-même constituée d'objets.

Voici la stratégie propre au design, une stratégie qui n'élabore pas de projets globaux mais met en oeuvre de profondes mutations en suivant des parcours apparemment millimétriques pourtant susceptibles de transformer nos villes de l'intérieur.

En effet, dans la ville postindustrielle, où les grands gisements immobiliers sont tombés en disgrâce et où s'étendent des millions de mètres carrés d'industries et de bureaux désaffectés, on assiste à une sorte de révolution urbaine issue des espaces intérieurs, transformant ainsi l'ensemble de leur fonctionnement par des interventions d'"architecture d'intérieur": des villes en évolution constante et dont les fonctions doivent être continuellement revisitées afin de répondre aux nécessités changeantes de l'économie sociale, du télétravail et de l'entrepreneuriat de masse.

Des villes dans lesquelles la qualité des zones urbaines n'est plus exclusivement constituée par les diverses architectures en présence, mais aussi par la qualité du tissu commercial, par le flux expressif des personnes qui le traversent et créent des scénarios mobiles capables d'engendrer une nouvelle géographie de qualité à l'intérieur du paysage rigide et figé de l'architecture construite.

Et la nouvelle faculté de Rome saura assurément en faire de même, en saisissant la fonction enzymatique et catalytique du design dans la société et dans la ville, ancienne ou moderne.

Cette "démocratie expérimentale", cette ville où la plupart des immeubles sont utilisés de manière impropre, où la qualité de la marchandise exposée dans les étalages remplace fréquemment la qualité de l'architecture avoisinante, est-elle peut-être la marque la plus évidente d'une transformation épistémologique très profonde, d'une révolution historique dont les contours ne sont pas encore bien définis, mais au coeur de laquelle le design joue un rôle important ?

Ce dernier trace en effet de possibles modèles d'une "frêle urbanisation" de territoires aux frontières floues et aux fonctions imprécises, des "modèles fragiles", caractéristiques de notre sociétépolitique, économie et culture ont perdu la force de leurs fondements et n'arrivent plus à coexister dans un système harmonieux ou à conférer une forme stable et robuste à nos villes.

Parce que l’architecture même est née à partir du périmètre d’une fondation, c’est toujours quelque chose qui commence au moment où il y a des limites physiques, et la ville c’est un ensemble de combinaisons de périmètres, de limites, qui produisent après la dimension de l’architecture.

Donc la ville est vue comme un ensemble de boites d’architecture.

Au contraire, il y a cette hypothèse d’une ville qui a déjà une réalité immatérielle, qui est plus un ensemble d’émotions, d’informations sensorielles, de services.

Donc c’est une autre ville, qui a une dimension invasive, moléculaire, mais qui ne se présente plus dans une forme globale, comme est la forme d’une ville.

En effet, je crois que la qualité d’une ville aujourd’hui - je ne parle pas des villages monumentaux comme Paris. C’est une autre chose - mais en général, dans la ville contemporaine, la qualité se réalise à travers la qualité des objets, des services, des petites choses.

C’est le premier document qui propose une interprétation de la ville à l’époque industrielle.

Donc ce document que je présente, ce n’est absolument pas l’idée de présenter une solution permanente qui m'intéresse, c’est le contraire. Ce n’est pas la ville du future, mais la ville d’aujourd’hui, qui est une ville qui ne marche pas.

C’est-à-dire qui est née, soit la ville moderne, soit la ville historique - encore plus - avec des idées de fonctionnement de l’économie, de la société, qui maintenant n’existent plus.

Le Corbusier imaginait la ville industrielle organisée par zones spécialisées. Là il y avait les habitations, là il y avait le temps libre, là on travaillait, après il y avait la circulation séparée, et après le centre historique.

Il n’existe pas une ville réalisée selon cette philosophie, mais elle a quand même eu un rôle très important dans la tête des politiciens, des architectes, des citoyens même.

C’est-à-dire qu’elle a fait une présentation d’une question qui semblait un désastre impossible, dans une manière logique pour cette époque géniale. Une nouvelle charte d’Athènes, ça ne veut donc pas dire une ville idéale, c’est seulement une analyse de petites possibilités qui peuvent aider cette situation de self-réformisme de la société contemporaine.

Il a y beaucoup de villes, comme par exemple Milan, où à une époque on trouvait des millions de mètres carrés d’usines abandonnés, des bureaux abandonnés, car ils avaient transféré la production dans des pays éloignés, alors qu'ils sont très utiles sur le plan des coûts économiques.

A travers la transformation produite par les composantes du design, d’une fonction à l’autre, on voit des villes comme, on peut dire Milan pour ce que je connais, où les universités sont dans les usines, on fait les musées dans les gazomètres.

Alors la ville semble être la même, mais on voit à l’intérieur qu’elle change complètement pour toutes les activités créatives, pour ce type d’économie nouvelle qui démarre à la fin du siècle passé, à travers la troisième révolution industrielle.

Et considérer donc la ville comme une favela high-tech, qui change très rapidement de forme, au-delà de la rigidité typique de l’architecture qui pense toujours être dans l’éternité.

Par exemple les grandes villes indiennes, où les vivants et les morts sont ensemble, les animaux, les hommes, la technologie, le sacré.

C’est-à-dire qu’il y a cette vision d’une hospitalité de la ville, cosmique, globale, où il y a un flux vital au-delà des règles, mais qui forme une sorte de vitalité de ce système. Sur ce thème j’ai beaucoup travaillé à chercher des modèles d’urbanisation faibles.

Et voir au contraire la ville davantage comme un ensemble d’espaces caves, comme ici nous sommes dans Paris, mais nous utilisons ceci et un ensemble d’espaces comme ça, donc de l’intérieur.

Voir la ville comme un ensemble d’espaces intérieurs climatisés.

Enfin, parce que dans certaines villes, quels sont les lieux où l’on peut dire si l’on est à l’intérieur où à l’extérieur? Je pense surtout à des villes comme Tokyo ou d’autres, où l’on ne sait pas si l’on est à l’intérieur ou à l’extérieur, en général, c’est ce rôle d’identité de l’architecture, ce n’est plus formel, mais c’est la présence de la micro-climatisation, où s’il fait chaud à l’extérieur il fait frais à l’intérieur, et vice et versa.

Donc la ville c’est une ensemble de micro-climatisations, et ça marche car il y a ce type diffus de micro-climatisation.

Et commencer à voir la ville comme un laboratoire génétique humain, la ville pas comme le royaume des formes rigides de l’architecture, mais comme un grand laboratoire des liaisons d’énergies de reproduction d’expériences sexuelles des champs du marché des génomes.

C’est-à-dire, ceci c’est la ville dans une vision humaine. Je rappelle les temples Jaïnistes qui existent en Inde, ces temples qui sont des pyramides énormes, mais où l’architecture n’existe pas, ils sont un ensemble de corps humains, un peu comme les images que nous avons vu au commencement.

Donc la ville aujourd’hui, à mon avis, ce n’est plus la définition du territoire urbain, c’est davantage constitué par la présence du " personnal computer " chaque 20 m2 que par toutes les structures formelles qui sont autour, parce qu'ils rendent possible le fonctionnement global du travail diffus des entrepreneurs de masse, des liaisons entre les personnes, etc. Ceci c’est la base du fonctionnement du territoire urbain, qui n’a pas une forme globale, qui n’a pas de forme.

Je crois qu’il n’y a jamais eu de ville qui marche bien. En effet après on change toujours la forme de la ville parce qu’elle ne marche jamais. Quelle est la ville idéale ? Dans l’histoire, les villes ont toujours des problèmes, ont toujours des impossibilités par rapport au fonctionnement, à l’évolution de la société urbaine, à l’économie à la technologie.

Le travail que nous avons fait, dans les années 67-68, dans l’esprit de l’architecture radicale italienne, qui est l’idée d’une ville un peu comme j’en ai parlé, c’est-à-dire une ville ou l’architecture n’est plus l’image de référence. L’idée c’était que toutes les valeurs de la tradition bourgeoise étaient entrées en crise et que la ville était un territoire infini de services, d’expériences sensorielles, donc une ville qui n’a pas de formes, comme un bloc de brouillard. Comme une ensemble de base.

Oui, simplement depuis le moment que je vois que la question des architectes et en général du gouvernement de la ville, c’est de construire bien, de nouveaux quartiers, des installations etc., qu’on voit que ce sont des solutions qui sont en crise, tout le temps, on ne trouve pas, alors le problème central c’est simplement de dire : regarder que le problème ce n’est pas le modèle de fonctionnement de la ville que l’on doit chercher à résoudre avec de nouveaux bâtiments, c’est plutôt la qualité interne de la ville, c’est la qualité.

En 1969, conjointement à son travail expérimental dans le domaine du design, le groupe Archizoom entreprit une recherche sur la ville, l’environnement et la culture de masse, qui aboutit au projet No-Stop City.

Regroupant l’ensemble des textes et des dessins, il nous dévoile cette "ville sans fin "qui mêle objet, société de consommation triomphante et architecture, une grille de lecture où la répétition d’un même ensemble central, un bâtiment ou un groupe d’objets, via un jeu de miroirs compose un environnement catatonique, un supermarché sans limites, un futur à composer et désormais atteint...

No-Stop City est une ville sans qualités, dans laquelle l’individu peut réaliser son habitat comme une activité créatrice, libérée et personnelle. Ce projet théorique fut d’abord publié dans la revue Casabella en 1970 sous le titre: "ville chaîne de montage du social, idéologie et théorie de la métropole". Il met en œuvre, comme le déclare Andrea Branzi, "l’idée de la disparition de l’architecture à l’intérieur de la métropole".

"Considérant l’architecture comme une catégorie intermédiaire d’organisation urbaine qu’il fallait dépasser, No-Stop City opère une liaison directe entre la métropole et les objets d’ameublement: la ville devient une succession de lits, de tables, de chaises et d’armoires, le mobilier domestique et le mobilier urbain coïncident totalement. Aux utopies qualitatives, nous répondons par la seule utopie possible: celle de la Quantité."

La ville est une réalité qui ne correspond pas à un ensemble de boite d’architecture, un ensemble de fonctions définies. La forme de la ville, rue, passage, boulevard ne corresponds pas aux conditions d’une humanité virtuelle. La ville aujourd’hui est une réalité opaque, cette réalité doit devenir multiple et utilitaire. La réformation de la manière permanente et proposition d’augmentation des règles pour donner une ville moins mise en danger par la crise.

La ville peut être une suggestion mentale. La ville doit être vue comme une favela high-tech, capables de répondre de façon organique aux crises du monde. La ville c’est aussi un ordinateur tous les 20 m². La nouvelle ville doit lier tous les espaces définis et les changer en structure en tant que réel.

Il faut maintenir la biodiversité dans les villes ce qui donnera des modèles d’urbanismes faibles suivant les saisons et les utiliés agricoles.

La ville imparfaite devant être gérée tous les jours, similaire à la condition humaine. Il faut réutiliser ce qui existe déjà, multiplier leurs fonctions.

Il faut avoir une vision différente de la ville et de nouveaux processus de projets. La ville est aujourd’hui un ensemble de flux humain, énergétique, sexuel, ce théâtre urbain est plein de cette énergie créative sexuelle de la multiplication.

BRANZI, Andrea. Progress. In: QUEHEILLARD Jeanne, SALMON Laurence, BRANZI Andrea, In progress: le design face au progrès, exposition, Grand Hornu, Monographik, Blou, 2010, p. 33-39.
BRANZI Andrea. Conférence, Exposition In Progress, 8 mai 2010 - 12 septembre 2010, Grand-Hornu Images, Belgique, 24 juin 2010
BURKHARDT, François, MOROZZI, Cristina. Andrea Branzi, 4ème de couverture. In: Andrea Branzi No stop city, Archizoom associati, éditions HYX, Paris, décembre 1997
BRANZI Andrea. L’enjeu capital(es), Colloque international d’architecture, 1 - 2 octobre 2009, Centre Pompidou.