Parmi les transformations "in Progress", le phénomène le plus intéressant réside dans le fait que le design est en train de devenir une profession de masse.
Par ce terme, je n'implique pas de jugement négatif, mais un événement qui s'inscrit dans un phénomène beaucoup plus vaste, d'envergure internationale et qui est à l'origine de la naissance de nouvelles universités de design dans le monde entier (en Chine, en Inde, dans le Sud-est asiatique, en Russie, aux états-Unis, en Europe, au Japon, en Corée), dans tous les pays développés et surtout dans ceux en voie d'industrialisation; car aujourd'hui le design ne se traduit pas uniquement par la gestion de la composante esthétique des produits, il signifie avant tout "inventer" de nouveaux produits, donc de nouveaux marchés, de nouvelles entreprises et, de ce fait, il annonce une nouvelle économie.
Il s'agit d'un design qui s'engage à rédiger une nouvelle "Charte d'Athènes", pour transcender la dimension anthropocentrique de la tradition occidentale, pour créer un concept d'hospitalité beaucoup plus ample, en entamant un nouveau chapitre de l'histoire de l'évolution de nos métropoles; en considérant celles-ci non seulement en tant que gisements architecturaux et infrastructurels, mais en tant que milieux favorables à la réalisation de nouvelles conditions de l'équilibre naturel et cosmique.
Le design s'emploie à convoyer la culture du projet vers une nouvelle dimension.
De nos jours, le design peut se situer sur deux terrains différents: le terrain physique et réel du marché (où les objets tangibles existent et peuvent être utilisés), et le terrain immatériel (non moins important) constitué par la circulation médiatique des idées expérimentales, là où les objets n'existent plus mais peuvent néanmoins être regardés et vus, puisqu'ils circulent en un nombre infini d'exemplaires sur le territoire iconique mondial; en propageant des hypothèses et des théorèmes destinés à stimuler la créativité sociale et à produire des énergies porteuses de changement.
C'est pour cela que le design est en train de devenir, dans le monde entier, cette "profession de masse"; non seulement à la suite de la constante demande d'innovation provenant du système industriel et des économies locales, mais également parce que nombreux sont les jeunes qui s'orientent vers cette activité dans le but d'exprimer leur "créativité spontanée" agissant même au-delà des stricts rapports industriels; une génération qui vit le design comme une forme de réalisation de sa propre personnalité, comme l'expression de sa propre identité, avant même de l'envisager comme une fonction appartenant à l'entreprise.
Peut-être l'ancien terme "industrial design" ne désigne-t-il aujourd'hui qu'une spécialisation qui n'existe plus en tant que telle.
Tout est design, tout est industriel.
C'est bien là que réside le destin du design.
Le nouveau musée de la Triennale de Milan a voulu rendre ce témoignage, à savoir que l'histoire du design n'est pas l'histoire des styles.
L'un des grands défis du design contemporain consiste à s'emparer de la culture environnementale, actuellement entre les seules mains des technologues ou de groupes antagonistes.
Voici la stratégie propre au design, une stratégie qui n'élabore pas de projets globaux mais met en oeuvre de profondes mutations en suivant des parcours apparemment millimétriques pourtant susceptibles de transformer nos villes de l'intérieur.
C'est depuis des années que notre Faculté de design de la Polytechnique de Milan ainsi que notre cours de design d'intérieur approfondissent ce thème, car il est nécessaire que l'offre didactique assume sa propre "mission" qui, malgré la complexité des contributions, doit en révéler le contenu culturel.
Et la nouvelle faculté de Rome saura assurément en faire de même, en saisissant la fonction enzymatique et catalytique du design dans la société et dans la ville, ancienne ou moderne.
Le design revêt une fonction essentielle par sa nature discontinue et par son métabolisme hybride: il utilise la technologie pour ses ressources esthétiques et l'esthétique pour ses apports technologiques...
Cette "démocratie expérimentale", cette ville où la plupart des immeubles sont utilisés de manière impropre, où la qualité de la marchandise exposée dans les étalages remplace fréquemment la qualité de l'architecture avoisinante, est-elle peut-être la marque la plus évidente d'une transformation épistémologique très profonde, d'une révolution historique dont les contours ne sont pas encore bien définis, mais au coeur de laquelle le design joue un rôle important ?
Le design actuel, faute de systèmes d'agrégation plus généralisés, semble être appelé à jouer cet important rôle historique; il envahit la réalité matérielle et immatérielle du monde contemporain.
Si nous observons le monde actuel, il nous apparaît comme enveloppé dans une pellicule chromée, électrolytique — produit du design — qui le protège comme un réseau élastique et en prévient la fracture.
De même, le réseau du design se caractérise par son goût unique: celui de "l'émancipation", fruit d'une innovation jamais finie mais (apparemment) sans objectif précis.
Par conséquent le design, par sa nature discontinue et expérimentale, représente non seulement un formidable creuset d'opportunités professionnelles; il est également la métaphore la plus achevée des espérances et des contraintes d'une société telle que la nôtre.
Par la "réversibilité" qui le caractérise aujourd'hui, le design engendre des bouleversements "irréversibles"; par sa nature et sa taille moléculaire, il met en place une nouvelle tectonique.
Cette métaphore empruntée par Andrea Branzi au sociologue Zygmunt Bauman, pour qualifier le design, a été choisie pour décrire les spécificités de la nouvelle modernité.
Et, en effet, on voit que dans tous les pays industriels et surtout dans les pays qui vont vers lindustrialisation, il y a quantité de nouvelles institutions, duniversités, décoles de design et de mode.
Donc c'est plus le rôle de la micro-production, des micro-projets de design que celui des grandes structures rigides et monolithiques du siècle du passé.
Donc c'est plus lunivers moléculaire produit par du design et que par l'architecture. Ici ce nest pas une question académique, entre les architectes, les designers, je suis dans autre chose.
Cest la question que, en effet, linstabilité du design, qui est le résultat dun ensemble dentreprises de design, de créatifs, etc., une base design, cest-à-dire une forme ingouvernable, qui na pas une direction mais toutes les directions, appartient bien à cette époque.
La désindustrialisation a formé ces espaces vides. A travers la transformation produite par les composantes du design, dune fonction à lautre, on voit des villes comme, on peut dire Milan pour ce que je connais, où les universités sont dans les usines, on fait les musées dans les gazomètres.
La capacité dentrer dans la dimension de léconomie quotidienne, dans les micro-espaces, et ceci cest le rôle du design, de changer la qualité des grands complexes méga-urbains à partir de la dimension anthropologiques, qui est sûrement une dimension minimale et sans grands signes, ça c'est très important.
Je cherche à donner au design qui, comme je lai dit, est devenu une activité de masse énorme, un sens positif, mais qui a toujours la limite dêtre au final une activité professionnelle, une prestation optimiste, qui nest pas capable de devenir culture.
Donc ce nest pas possible que le design qui est devenu lune des activités les plus diffuses, qui a un rôle stratégique que jai cherché à expliquer aussi largement, reste en dehors des mouvements culturels qui se passent, qui changent, en dehors de la musique et de la poésie, qui prend des responsabilités, passe les époques mais reste impassible.
On retrouve Andrea Branzi au coeur des débats qui ont "fait" le design de ces vingt dernières années, dArchizoom à Memphis et Alchimia.
En 1969, conjointement à son travail expérimental dans le domaine du design, le groupe Archizoom entreprit une recherche sur la ville, lenvironnement et la culture de masse, qui aboutit au projet No-Stop City.
No-Stop City est une utopie critique, un modèle durbanisation globale, où le design est conçu comme loutil conceptuel fondamental pour modifier les modes de vie et le territoire.